par Nassera Metmati

Bel Ami, Charles Duroy ne poursuit qu’un seul but : devenir roi, devenir riche quoiqu’il en coûte. Animé d’une âme d’animal obsessionnel, Bel Ami courtise, fait l’amour, jongle auprès de trois partenaires féminines, toutes représentatives des trois classes d’âge d’épouses de Paris ; la frâiche fleur (Clotilde), l’intellectuel affairiste (Madeleine Forestier), la prude cinquantenaire (Kristin Scott Thomas). Bel Ami trouvera son idéal auprès d’une jeunette noblement présentée (Suzanne Rousset) ; un mariage qui équivaut à trente-mille francs, un mariage de complaisance, un mariage de nouvelle vague, d’une jeunesse faussement ambitieuse et (a)vide d’espoir.

Riche Dessin

Car de jeune génération, le cinéma s’en donne à cœur joie dans un désir évident de déconstruction des références des pellicules d’antan, histoire de se payer la tête d’un bel homme tel qu’Alain Delon sous l’œil du réalisateur Roger Vadim. Ce qui constitue l’obsession critique actuelle consiste à se référencer uniquement sur les auteurs, les politiques d’auteurs – auquel Tousmescinemas a consacré une réflexion dans les carnets de Cinémas Lab – alors que le contexte et les produits qui se présentent aux spectateurs ont franchit le cap depuis un sacré moment, sans se soucier des comparaisons à foison qui deviennent grotesques, redites, sans désir créatif de pensée – vive la pensée unique – et que nous voyons défiler en overdose partout sur nos fils d’informations permanents que sont les réseaux modernes de communications. La critique se livre d’une voie unanime à décrier la chaire pourrie de Bel Ami presque en refusant d’accepter ce vent frais qui n’aurait plus la mèche blonde de Robert Redford, à celle de la mèche et des pattes vampiresques d’un jeune homme Robert…Pattison. Assez. Suffit.

La presse anglo-saxonne est un peu plus légère que la nôtre sans être intuitive et objective. The Guardian l’associe à un amuse-bouche, à l’image de son frenchy de héros, The Observer scope la réussite des costumes par deux réalisateurs certes novices mais théâtreux. Soyons honnêtes, Bel Ami est un film réussi, quoiqu’en dise les diseurs de mauvaise aventure et les langues programmatiques enfermées dans des systèmes de pensées vétustes, que nous n’avons plus guère goût à entendre, tellement les accords sonnent faux, sentent un acquiescement idéologique las et piégé du système. Les deux cinéastes auraient eu sans doute tort d’en faire une puissante épopée à la manière de Raoul Ruiz et des Mystères de Lisbonne, magnétique, mais qui même si il aurait charmé à coup sûr, aurait pu enlever tout dessin inventif, où l’on aurait pris pour cible la mièvrerie intègre et surannée du grain qui faisait le charme des films littéraires. Nouvelle graine.

Pauvre racine

Les défauts raisonnent comme ceux qui résultent de ce choix de mise en place élargie, dégagée de lourdeurs et de silhouettes pesantes, sans mettre de côté la pierre angulaire qu’est le perfide et calculateur Bel Ami. Les deux cinéastes auraient pu abandonner les séquences sonores, encore à la mode, pour ne faire qu’un film sans écho dramatique. Bel Ami vire par intermittences sur l’humour cynique tant les quiproquos familiales d’une tradition de la comedia dell’arte italienne sont aisés à comprendre. Guy de Maupassant traduisait en gros plan dans ce roman cher à Tousmescinemas une lecture complète de la sociologie du temps de l’écrivain, qui se plaisait à mettre en scène dans une tradition littéraire française les frasques des habitudes humaines de son temps, des ses griefs, ses us et coutumes, ses dessins d’humanité ; des pions que sont ces créations fictives ; en réalité, chaque création n’est que le reflet d’un aspect, caractère ou défaut que relevait l’écrivain.

Journaliste reconnu, nous apprenons que le mari de Madeleine Forestier s’approprie les idées de son épouse. Les femmes sont des épouses modèles qui amourachent d’amants où ces derniers ne sont pour la plupart que des hors d’œuvres menu posés sur un plateau d’argent. Madeleine affirme que ces créatures détiennent le pouvoir à Paris, pourri par la gangrène de l’argent et de la politique. Le spectateur affligé et à la botte de ce mécanisme de soumission cyclique, au fur et à mesure que le temps passe, que les histoires se répètent telle une logique implacable. Logique des coucheries, logique des mariages déterministes, conditionnés qui finissent toujours par des inextricables complexités vidées de toutes substances en vérité car déjà condamnés de facto.

Que reste t-il aux puissants ? Les putschs, la bataille rangée sur la table des cigares, du brandy et des affaires de la France quant la jeunesse cherche à tout prix à se caser et prévenir les pépins, vivre libre ce slogan archi faux, qui jettent à la fenêtre les prêches « d’une vie meilleure » comme l’exprime Bel Ami. L’absence de courage, la mauvaise éducation, la peur, la facilité se transforme en très vilain défaut qui produit les futurs scandales et les tragédies. Georges Duroy croit au dû, à la manipulation implacable, à la méchanceté afin de parvenir à son but ; à quel prix ? Georges Duroy était déjà un enfant perdu, un enfant paumé dans la capitale, se parant d’adjectifs qui cache une grande misère intérieure. Il s’agit de son aveu d’impuissance fait à Clotilde qui elle seule mesure la détresse de Bel Ami. Georges Duroy est infiniment confus, incapable de grandir ; il choisit l’acerbe courbe de l’ascension sociale suivant ses croyances et ses rêves de liberté absolue. Qu’en pensera l’heureuse (?) élue Suzanne crédule, qui se laisse emporter par la vague noire d’une âme damné qui pourrait se rapprochait à celle de Faust, en fait d’un soldat sans éducation. Que réserve l’avenir, si sombre ?

Le récit est puissamment moderne. Le récit est infiniment dramatique si nous considérons les espoirs post-modernes que porte l’écrivain. N’en déplaise à nouveau, aucune adaptation cinématographique et télévisuelle n’a pu jusqu’à présent assurer les intentions de Maupassant, même si les papiers s’aiment à faire de l’éternel nostalgie pour l’épisode de 1947. Non. Les personnages ne sont que des abstractions sous la plume, enfermés sous des enveloppes de chaires, là où le cinéma les tire de l’imagerie à la réalité, de la tragédie à la tragi-comédie. Quelle Comédie l’Humanité.

Fiche technique

Réalisé par Declan Donnellan & Nick Ormerod
Avec Robert Pattison, Christina Ricci, Uma Thurman
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Britannique, France, Italie
Durée : 143 mins
Année de production : 2012
Distribué par Studio Canal