Code GAL
Chirurgien controversé, le docteur Robert Landgard découvre un procédé unique de création artificielle de peau humaine. Victime du suicide de sa femme, brûlée après un accident, puis de sa fille devenue folle après un viol, Robert Landgard utilise le jeune Vicente, coupable de l’acte en question, comme un cobaye idéal, séquestré pendant plus de quatre ans, pour créer un homme génétiquement modifié à l’intérieur d’un corps d’ une nouvelle créature, une femme…Vera…
Le synopsis résonne comme un mauvais film noir américain des années 50, film d’horreur classique en noir et blanc, un Elephant man qui torture par la peur les esprits, un énième docteur Frankenstein qui s’amuse à faire d’innocentes victimes les porte à faux de leurs monstrueuses expériences scientifiques, cachés, coupés du monde pour ne recréer le leur que dans leur immense demeure hanté, invisible au commun des mortels et défendu d’accès par un vague mais ténébreux sentiment de « il se trame quelques chose de bizarre ici, d’étrange ». Ne rêvez pas, nous sommes dans la maison d’Almodovar, en chair et en os. Qu’on aime ou pas les précédents films du cinéaste, rien ne laissait entendre une telle douce candeur dans un sujet aussi violent. Le réalisateur provoque sans se mettre à dos aucune audience. Les personnages sont bien réels, la musique douce puis saccadée dans les brusques éruptions sinusoïdales de son récit, les matériaux externes de l’Espagne des années 70 entièrement reconstitués, excepté dans le délire humaniste de son héros principal qui a fait de sa vie une réponse à sa propre justice, hors de la bioéthique, hors de l’éthique, hors de la morale. L’abus de pouvoir est le propos incisif de la pellicule explique Pedro Almodovar. Robert Landgard utilise une cible pour s’exonérer de sa propre culpabilité, sa propre impuissance dans le but de la/le réduire à un objet de convoitise personnel, de domination de l’espèce sur l’espèce. L’enfermement qui l’oblige à contempler jour et nuit sa créature dans sa chambre, sur grand écran, à la manière d’un spectacle artistique le mure plus profond dans un silence ourdi ; la scène où l’on assiste à ce spectacle est impressionnante dans la forme carrée des choses que dans une idée inconcevable mais que nous spectateurs acceptons comme une sorte de show somptueux, sublime à regarder.
Rien n’est moche dans la Piel que Habito. Nous savourons les séquences d’amour entre Robert Ledgard et Vera, nous ne offusquons pas ou presque du désir violent de l’homme-lion, nous ne réprimons, dans un malaise des circonstances dramatiques du film, pourtant montrés à l’écran. Une fois que nous découvrons le visage reconstitué de la femme brûlée, nous ne sommes pas portés au dégoût, ni même dans le sort que va se voir réserver Vicente, presque dans une sorte d’évolution naturelle de l’espèce…Pourquoi ? Peut-être que par ces éléments passe au second plan chez Almodovar, que la vie est faite de facto de ces histoires, et donc que le problème ne vient pas de la matière, mais dont la façon de malléabiliser cette matière. Vicente, Vera n’est plus rien à l’extérieur ; tout du moins elle n’existe plus dans sa fonction vitale d’être sexué. Si le chirurgien aboutit à vouloir recréer le visage de sa femme morte sur un homme, puis à l’aimer de cette façon, c’est que sa réussite soit complète, son désir assouvi. Vicente le dit lui-même « J’ai toujours été une femme ». La folie touche à tout. Une seule fois, Almodovar sort du feutré pour nous faire jaillir une infime partie de violence lorsque Vicente, vêtu de noir tente de s’échapper ; couteau à la main – dans une musique qui modifie son tempo, musique brillamment exploitée par Almodovar tout le long du film pour ponctuer ses plans, ses cadres – Le chirurgien admet les faiblesses de son hominidé, le réduit à un rien et inversement, Vicente produit son premier acte de courageux désespéré. Une fois au milieu du film, l’humain revient. Les drames ne sont jamais totalement dramatiques dans le cinéma d’Almodovar, ni même dans ses fins qui oublient de dénouer certains nœuds de ces personnages. La mort du médecin fou et de sa mère interrompt brutalement toute idée de psychanalyse, d’étude, quand bien même Vicente, dans une expression normale, revient à sa première nature alors que nous le croyions déjà mort. Cela veut-il dire que les esprits les plus symboliques, les plus aseptiques, celles qui savent se distancier dans leur apparente unicité réussissent-elles le pari de rester éternellement innocentes ; en quoi pourrons-nous transformer les comparses d’Almodovar face à l’accélération de notre pensée, précipité à la fin du film. Ni réel, ni ressenti, l’expérience de cinéma nous assigne d’ores et déjà à rester ébahis.
Fiche technique Réalisé par Pedro Almodovar Acteurs: Antonio Banderas, Elena Anaya Genre: Drame, Thriller Long métrage : Espagne Durée: 157 min Année de production: 2011 Distribué par Pathé