Christian Barbier, l’homme de Picardie
Disparu le 3 Novembre 2009 à Manosque (Alpes de Haute-Provence) à l’âge de 85 ans, Christian Barbier jette l’ancre de la Péniche le Picardie après 47 ans de carrière cinématographique et télévisuelle.
Le « Bourru » de Cinéma
L’homme est modeste, mais il cumule des rôles au sein de films classés désormais parmi les grands classiques du cinéma français. Christian Barbier n’est pas d’origine picarde. L’acteur porte pourtant l’image du « Picardie » ou de « La Picardie », le bateau qui longue les berges et les fleuves de France pendant toute une décennie de feuilleton, L’Homme du Picardie.
Tout au long de la carrière, l’acteur incarne sur les planches, sur petits et grands écrans des rôles et des attributs singuliers à chaque personnage qu’il incarne. Né en Seine Saint-Denis le 28 juin 1924, l’acteur Christian Barbier débute véritablement sa carrière cinématographique en 1956 après avoir accumulé de nombreux petits métiers.
Il apparaît dans un de ses premiers films Alerte au 2ème bureau, un polar de Jean Stelli aux côtés de Franck Villard et de Geneviève Kervine, les deux têtes d’affiches du film policier. Il campe un éminent spécialiste, le professeur Verdier, qui découvre un procédé inédit pour atteindre le cerveau électronique d’éventuels agresseurs. Un homme meurt mystérieusement. S’ensuit une série de rebondissements, d’actions afin de déjouer l’énigme policière. Un de ses premiers rôles.
Christian Barbier disparaît par la suite des tournages pendant huit longues années. Il revient à l’écran en 1964 avec un petit rôle dans Week-end à Zuydcoote de l’immense Henri Verneuil qui avait déjà dirigé Jean Gabin et Alain Delon un an auparavant sur Mélodie en sous-sol. Histoire d’un soldat qui s’emmourache d’une femme après l’échec d’un exil forcé en Angleterre avant la seconde guerre mondiale. Barbier y incarne un complice du sergent Julien (Jean-Paul Belmondo) qui va aider le couple à fuir. La carrière de l’acteur démarre.
L’Histoire de guerre le dirigera plus tard sous le feu de la résistance française pendant l’occupation. Entre temps, l’acteur enchaîne les rôles sur les plateaux de tournage : La Vie de Château, Maigret à Pigalle, Le Franciscain de Bourges. En 1966, il est le partenaire de Michel le Royer dans Corsaires et Flibustiers.
C’est surtout avec le personnage de Joseph Burtol dans le feuilleton réalisé par Jean-Jacques Ertaud que sa réputation de « Bourru » prend corps. En 1968, il devient L’Homme du Picardie, la première parenthèse télévisuelle de l’homme de cinéma habitué au rôle de figure va « populariser » l’acteur.
Fort de ce succès, Christian Barbier retourne en studios. Là, il poursuit sa carrière d’acteur décalé, sorte d’antihéros, vers des films à charge héroïque. La Horse, Les Granges Brûlées, et encore La ligne de Démarcation. Mais c’est le « Melvillien » L’Armée des Ombres, qui partage les avis des critiques à sa sortie en 1969, qui représente le film de résistant, type du « culte du héros ». Le récit narre la résistance clandestine d’un groupe français sous l’occupation nazie. « (…) le héros, l’homme en marge, qui poursuit inexorablement, le but qu’il s’est fixé. Le sens de l’amitié, la virilité, la dignité, c’est-à-dire une conception de l’honneur fondée sur un certain code moral, sont des qualités propres à tous ses personnages » expliquait le Monde en 1969.
Aux côtés de Lino Ventura, Simone Signoret et Jean-Pierre Cassel entre autres, Christian Barbier figure un personnage charismatique qu’il préserve de ses plus grandes incarnations au cinéma. Des rôles anti-conventionnels, apolitiques, imprégnées d’un contexte historique fort à l’image de la guerre ou des révoltes soixante-huitardes.
Chez Jean-Pierre Melville comme l’Homme de Picardie, Christian Barbier s’adjuge une notoriété solide ; il porte l’image d’un héroïsme qui se fond dans une cause commune, celle de la France gaulliste auquel on attache par tradition le personnage de Jean Moulin. Il est possible de voir dans cette représentation d’entrisme anti-conventionnel la métaphore dans une séquence phare de l’Armée des Ombres qui n’échappe pas au Cahiers du cinéma où Simone Signoret, Christian Barbier et Claude Mann pénètrent, sous l’uniforme ennemi, dans la forteresse de la Gestapo.
En marge de la carrière cinématographique, l’acteur fait plusieurs apparition pour des téléfilms au début de années quatre vingt ; il incarne le grand-père « Grand-Pa » dans les six uniques épisodes de Mon ami Gaylord. Il apparaît dans L’œil du Sorcier, la Fortune des Rougons, Les rois Maudits, ou plus tard Julien Fontanes et Retour à Locmaria jusqu’en 2001.
Christian Barbier est un homme de théâtre à part entière. L’un des rôles significatifs, emblématique de l’empreinte de l’acteur fut celui de Janus Korczak, homme scientifique renommé du vingtième siècle déporté avec ses élèves au camp de Treblinka, dans Korzack et ses enfants aux côtés de Jacques Ruisseau sur la scène du théâtre de Poche de Bruxelles.
Marque de fabrique télévisuelle
Une institution. Christian barbier reste le Joseph Burtol dit le Batelier du Picardie du premier feuilleton télévisé de l’ORTF (Office de Radiodiffusion Télévision Française). La série est diffusée pour la première fois le 16 décembre 1968. Il est l’un des plus populaires de sa génération.
De l’année 1968, et plus largement la décennie sixties, il ressort un foisonnement de fabrication de séries télévisuelles aussi bien en France qu’à l’étranger. En Grande-Bretagne, la chaîne ATV propose un an plus tôt une série de 17 épisodes Le Prisonnier œuvre intégrale de l’acteur Patrick Mc Goohan filmée à Portmeirion dans le Pays de Galles. Avec une saga familiale La Grande Vallée La chaîne anglaise tente le pari de concurrencer l’immense NBC qui diffusait à l’époque une série à succès, Bonanza.
Près de la frontière, une grande série inédite de la télévision belge Les Soviétiques tournent 13 films de 26 minutes sur la vie des gens, de la Sibérie à la Géorgie. Un brillant tour de main qu’avait refusé l’URSS aux nations superpuissantes américaine, anglaise et française. Mais en France aussi les séries foisonnent : avec trois autres séries, Gorri le Diable, Thibaud Le chevalier Blanc ainsi qu’un western de 26 épisodes content les aventures d’un contrebandier des mers qui fait penser à notre Homme de Picardie.
Il faut avouer que le succès de la série n’occulte pas la plus grande crise qu’a vécue l’ORTF de Jean Jacques de Bresson et Jacques Bernard Dupont, son successeur durant l’année 1968. Le conflit le plus significatif de l’histoire de la télévision dure sept semaines au cours duquel l’unique média gaulliste télévisuel qui détenait le monopole de la diffusion s’arc-boute sur des revendications de l’intersyndicale pour « une information libre ». L’opération « Jéricho » figurait parmi les actions les plus offensives dans le bue de faite tomber « les murailles de mensonge saupoudrant le traitement de l’information sur les ondes de l’ORTF ». Malgré tout, le succès de la chaîne tient toujours grâce aux séries ainsi qu’à l’arrivée de la publicité la même année.
Du contexte social de « l’Homme de Picardie »
Des bateliers en colère manifestent leur colère sur la Seine un jour de 26 avril 2010 à Paris. La Voix du Nord rappelle quelque peu un contexte dans lequel évoluait le téléfilm L’Homme de Picardie.
Les drames quotidiens du marinier Joseph Burtol ne sont pas étrangers à la France à la venue des années 1968. Ils « rassemblent » l’ensemble de la population française à la veille des mutations sociales et économiques de l’après-guerre.
L’homme du Picardie est autant populaire que l’année de l’avènement de la cinquième semaine de congés payés en France. Tandis que gronde l’orage des révoltes sociales, les sept mille mariniers de la batellerie française suivent les aventures quotidiennes du comédien de la Picardie. A cette époque, il n’est pas rare que des files de bateliers s’immobilisent le long des rives des cours d’eau. Peu d’entre eux possèdent un récepteur. Afin que chacun en profite, il arrive que les bateliers ‘immobilisent pour profiter des épisodes de la série.
Christian Barbier de fait est « mis en relation directe et régulièrement avec des millions de français qui ne me connaissaient pas encore » exprime t-il lors d’un entretien auprès d’un quotidien picard. Ce n’est pas un hasard puisqu’à sa manière, l’acteur fit beaucoup pour la notoriété de la région Picardie. Outre son attachement au 12ème festival du film d’Amiens auquel il participa à la soirée de clôture au côté de Pierre Santini – auteur interprète du feuilleton L’Homme de Picardie en 1992 – les picards se risquaient à demander des informations sur la célèbre péniche de 38 mètres qui sillonnait les canaux de France et de Navarre.
Au début des années 1970, il venait en Picardie Maritime près de Pendé à Saint Valéry sur Somme. Léone Véron, partenaire à l’écran dans le feuilleton qui interprétait la fille Yvette Durtol y louait autrefois un ancien Presbytère. Un moyen de réconcilier le Picardie et la Picardie.
Extrait de l’INA (Institut National de l’audiovisuel)
L’homme du Picardie : partie 1
L’homme du Picardie – 27/10/1979 – 45min58s
Dans ce premier épisode, nous faisons la connaissance de la famille Durtol. Une famille de bateliers, fière de leur statut d’artisan et propriétaire de leur péniche, le « Picardie ». Nous suivons leur quotidien, avec son lot de malheurs et de petits bonheurs, au fil des canaux et rivières de France. Joseph Durtol a racheté récemment le « Picardie » sur lequel il vit entouré de sa femme Thérèse et de sa fille Yvette. Les traites sont lourdes mais la famille fait face.
A l’occasion d’une halte de nuit près de Meaux, Yvette s’enfuit sans un mot pour ses parents. Elle va à Strasbourg chez son frère Julien, employé d’une compagnie maritime, pour lui demander de l’aider à trouver du travail. Elle ne supporte plus la vie de marinier et ne rêve que d’un travail à terre. Comprenant que sa sœur a fait une fugue, Julien raccompagne Yvette sur le « Picardie » en lui promettant de parler de son projet à leur père. A Paris où le « Picardie » est amarrée, la réception est très froide et Joseph ne veut rien entendre. Yvette s’enferme dans sa cabine.
Générique
Réalisateur: Ertaud, Jacques
Scénariste: Maheux, André ; Grange, Henry
Interprètes: Muller, Michel ; Barbier, Christian ; Gilbert, Arlette ; Schmitt, Jean ; Cara, Bernard ; Laurey, Marius ; Doria, Max ; Gobin, Gabriel ; Frégis, Lucien ; Santini, Pierre ; Etievant, Yvette ; Allieres, Annick ; Ferrand, Michel ; Nort, Frederic ; Veron, Leone ; Bonneau, Françoise ; Ferna, Claude ; Flohr, Claire ; Schreiber, Jean François ; Dondon, Jany ; Moutier, Jean Pierre
Filmographie principale, par ordre chronologique
La Vie de Château de Jean-Paul Rappeneau (1965)
L’Homme du Picardie de Jacques Ertaud (1968)
L’Armée des Ombres de Jean-Pierre Melville (1969)
L’homme pressé d’Edouard Molinaro (1977)
Trois hommes à abattre de Jacques Deray (1980)
La Maison Assassinée de Georges Lautner (1988)
A lire
L’homme du Picardie 1&2 : fiches films, anecdotes de tournages, rubrique consacrée aux acteurs
A découvrir également
Coffret DVD L’Homme du Picardie – L’intégrale de Jacques Ertaud avec Christian Barbier, Koba Films Video, DVD Zone 2.
Filmographie complète de l’acteur Christian Barbier
http://www.imdb.fr/name/nm0053607/filmogenre
Bibliographie littéraire
Jean-Jacques Jelot-Blanc, Télé Feuilletons Le Dictionnaire de toutes les séries et de tous les feuilletons télévisés depuis les origines de la télévision, Editions Ramsay Cinéma ;
Catherine et Jacques Legrand, Chronique de la télévision Editions chroniques, 1996 ;
Les Cahiers du Cinéma Numéro 507, Novembre 1996, L’Armée des Ombres, le Monument piégé d’un résistant, de Jean-Michel Frodon.
Articles
Le Courrier picard, Vendredi 6 Novembre 2009, « L’homme du Picardie a jeté l’ancre » de Jacques Goffinon ;
Dictionnaire encyclopédique Larousse ;
La Cinémathèque Française, 40 articles, bibliographie revues cinémas et littéraires.