par Nassera Metmati

Londres revit des blessures béantes de la seconde guerre mondiale. Heyster Collins (Rachel Weisz) est l’épouse de Sir William Collyer, haut magistrat britannique (Simon Russel Beale). Infiniment mystérieuse, femme tourmentée, Heyster tombe amoureuse de Freddie Page (Tom Hiddleton), ancien pilote de la Royal Air Force.

Heyster est une tragédienne. Du corps tendu d’Heyster transite une intensité extrême d’un récit qui jaillit des grandes fresques cinématographiques sur l’amour.

Heyster est un bourgeon d’une veille capitale et de ses veilles histoires. Comme une ville fantôme qui ouvre ses portes à la reprise d’une vie insouciante, Heyster Collins reprend le chemin de l’aventure, de la vie nouvelle œuvrant corps et âme à la flamboyance d’une nouvelle époque. Londres mûrit. Les bars reprennent leur place, le lait est déposé sur le pas des portes. Heyster repart de zéros, continuellement, incessamment, afin qu’elle puisse renaître elle-même. Avec Heyster, la relation peut être tellement idéalisée, qu’elle est encline à l’intellectualiser, le pousser jusqu’aux extrêmes ; à sa connaissance, la passion, l’amour, peut, doit lui apporter tout, jusqu’à une souffrance subie qu’elle seule reconnaît, qu’elle parvient à supporter, malgré une tentative avortée de suicide dans laquelle s’ouvre le film.

Classique, brumeux, dans la sobriété d’une mise en scène proprette, très posé, qui pourrait se télescoper à la posture de La Taupe, la pellicule de Terence Davies épouse un schéma linéaire qui pourrait étouffer ou s’évaporer dans les vapeurs langoureuses d’une cigarette. The Deep Blue Sea reste sur la tangente. Heyster est l’élément stable du triangle amoureux, entre Sir William et Freddie. Femme-enfant, femme terriblement mûre en vérité, qui pourrait revivre à l’infini chaque époque perdu, toute follement vertueuse de Woody Allen, Heyster raconte une histoire connue de tous, réécrit à sa manière, comme elle le lit à travers les livres, les sonnets de Shakespeare que Sir William lui offre à son anniversaire. Seulement Heyster connaît déjà les histoires, sans trop savoir de quelle manière. Heyster connaît la fable de Jules et Jim, la fin truffauiste tragique qu’elle reconduit dans une mesure temporelle. Heyster sait que ce qu’elle semble réécrire est déjà établie depuis l’éternité, ce qui en fait une idéaliste incomprise, larmoyante, étouffante. Au fond, Heyster est très compréhensive, attachante, elle fait rempart, elle tasse, hait la propension et porte ce fardeau sur elle. A l’opposé, son défaut est de refuser absolument la médiocrité; c’est ce qui la rend si vulnérable, si froide en apparence, où finalement, le monde environnant est médiocre, dans toute la splendeur d’une bataille, et qui l’est par des individus suffisants et méprisants.

Les simples baisers entre Freddie et Heyster embellissent d’une flamme une idylle en pointillés ; il s’agit de baisers langoureux et sulfureux, raisonnant aussi dans les sons et la musique grave qu’emprunte le cinéaste, comme les films n’en ont pas souligné depuis très longtemps la symbolique de l’attirance originelle. Sus à Heyster qui en produit un tableau cubiste d’Eve, cubisme contemporain qu’il l’attire comme ce mouvement décisif qu’il est dans l’art-historique moderne. Heyster est une avant-gardiste. Le suicide est toujours répréhensible dans la société des années 1950. Sir William est le porte à faux de la justice, dépassée, feinte. Heyster le quitte dans cet élan, sur les tableaux de la spiritualité et le chemin d’une autre règle. Seulement, quelles sont les nouvelles règles si ce n’est qu’une transfiguration aveugle du désuet à un modernisme dictée sur des principes malhonnêtes ?

Heyster aime désespérément, profondément le monde, mais ce monde la rejette. Au départ de Freddie, au cours d’une séquence étirée émouvante, Heyster, seule, ouvre les rideaux de la chambre ; peut-être pour la première fois, un sourire satisfait, naturel, s’exprime dans une tonalité positive, parce qu’elle a pu enfin dépasser un de ses propres cadre d’expérimentation. Courage Heyster Collins ! La voie choisie est la plus ardue, mais c’est la voie la plus pure, la plus honnête, la plus lumineuse.

Fiche technique

 

Réalisé par Terence Davies
Avec Rachel Weisz, Tom Hiddleston
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Américain, Britannique
Durée : 138 mins
Année de production : 2011
Distribué par Diaphana Distribution