"Il est mon double"
Terry Mc Kay (Deborah Kerr), compagne d’un riche homme d’affaires, rencontre Nickie Ferrante (Cary Grant) un riche coureur de jupons, au cours d’une luxueuse croisière à destination de New-York. Instantanément tombés amoureux l’un de l’autre, ils décident de se retrouver six mois plus tard au sommet de l’Empire State Building pour vivre leur histoire, et en finir avec leur vie respective, avant qu’un drame ne les rattrape…
C’est dans la deuxième version, celle de 1957, du réalisateur Leo Mc Carey que s’affiche le champ de l’alliance des oppositions chères au cinéaste, à la manière dont il construit ses puissantes mises en scènes, qui s’étoffent dans le temps jusqu’à exploser en une pellicule étonnamment honnête avec les personnages, les jeux d’acteurs qu’il manie avec une précision folle. Leo Mac Carey expliquait « Je voulais savoir si j’étais aussi bon scénariste et bon metteur en scène que vingt ans plus tôt ».
Cary Grant remplace Charles Laughton, Deborah Kerr interprète un rôle campé jadis par Irene Dunne autour d’une fiction produite par le même cinéaste, et qui se différencie dans la volonté consciente de porter à l’écran des caractères bien différents de l’original de 1939 ; personnalités bien trempées, plus mâtures, plus cyniques avec eux-mêmes ainsi qu’avec leur époque en même temps que le réalisateur accumule plusieurs productions comiques.
Le discours est le même, et la société des années 30 n’a que peu évolué plus de vingt ans plus tard. Seul le sérail comique est la ponctuation supplémentaire qu’apporte le personnage de Cary Grant, qui accélère la bobine au rythme d’une comédie burlesque. Elle et lui est caractéristique de ce reflet biaisé, qui fait partie intégrante de la notion du double qu’exploite le cinéaste ; double allégresse et embarras, double sentimentalisme et loufoquerie, double cinéaste, double art pour un produit qui n’a pas changé dans l’appréhension du monde de Mc Carey. Ce double est apparemment la vision centrale du cinéma de Leo, afin de nous faire comprendre que rien n’ébranle la puissance des hommes, auxquels nous pourrions greffer n’importe quel décor fabuleux qu’il n’échangerait en rien l’expression du corps, de la parole, et de l’esprit profondément humanisant de ce cinéma classique et moderne.
Roman « Pink Champagne »
Attribuée l’expression d’un roman à l’eau de rose aux comédies romantiques du cinéaste américain ne semble pas correspondre aux traitements des sujets. Si les pages de l’histoire personnelle de Leo Mc Carey, tantôt dramatiques dans ses trajectoires de carrière, tantôt dans la reconnaissance bancale de son cinéma, en particulier aux circonstances malheureuses d’un Oscar attribué au même moment que sonnait un échec commercial d’un film, Place aux Jeunes, qui lui ferma les portes de la Paramount.
Elle et Lui rassure le réalisateur. Le long-métrage affiche une partie de pure screwball comedy. Carey Grant s’en donne à cœur joie dans la première tranche de film, en tant que fortuné dandy séducteur à la recherche d’une femme qu’il pourrait courtiser. Le cinéaste place la scène dans un environnement cloîtré, et ouvert aux immensités du monde. La première contradiction apparait. Leo Mc Carey réalise son déni personnel de ce cinéma unijambiste. L’impatience et la volonté de liberté caractérisée de Terry et de Nickie empêchent ceux-ci d’exprimer leur véritable désir de vie, hors des considérations sociales qui les emprisonnent dans un système d’attribution apparemment beau, qui ruissèle d’ennui en vérité lorsque l’on associe les répétitions des gestes, des habitudes, des déjeuners pris aux mêmes heures, et qui enferment les deux « victimes » dans leur prison dorée.
Leo Mc Carey est malin. Il intègre un moment incongru, une escale latine, une escale familiale et terrestre, sans rebondissements, qui a simplement pour but de revendiquer et de replacer les personnages dans un vecteur d’appréciation juste pour se détourner du format classique d’une histoire romancée. La réalité dans lequel vit la grand-mère de Nickie en est une litote. Ironiquement, rien ne peux évoluer dans ce système clos ; l’arrivée aux frontières du Nouveau Monde censé incarner la liberté dans toute sa splendeur est le porte à faux encore une fois « drolatique » du système de mise en scène de Leo Mc Carey. Là, ou le rêve américain est censé s’accomplir, là ou naissait jadis tous les grands destins, dessins aristocratiques, jaillit une forme de médisance du cinéaste dans les propos glorieux de gloire et beauté. De rêve et de perfection.
La mise en scène de Mc Carey épouse un objectif cruel, réelle de la vie américaine, avec très peu de forme, de décor, de rendez-vous majestueux de ballets – comme il le montre dans une scène, où à la fin d’un spectacle, la condition tragique de Terry apparaitra à nos yeux naïfs de spectateurs. La caméra ne quitte pas les gestes, les expressions de ces personnages. C’est l’outil de mise en scène qu’exploite le cinéaste à des fins dramatiques, et qui expriment tout le sens profond de son cinéma. Pour autant, il n’adhère jamais à la mélancolie abjecte, celle exprimée facilement par la pitié. Le contexte encore une fois n’est plus à la faute. Le monde va trop vite et les personnages servent une réalité. Le tragique accident de Terry ne fait, presque, que la replacer dans un chemin différent et inédit, mais opposé à toutes formes de destructions.
Nickie est un modeste peintre. Terry une modeste enseignante. La séquence finale de Cary Grant en est, pour réaffirmer le fantastique des êtres, plus imaginative encore ; car Mc Carey imagine Grant dans une discussion irréelle, réinterprétant pour lui et pour Terry l’expression des remords, des actes manqués, réimaginant à lui seuls les scènes qui auraient dû se produire, que l’on pourrait reprocher au cinéaste d’oublier consciemment dans ce désir de claquer la porte aux dues du monde et n’en faire qu’a sa tête. Les deux fortes têtes tiennent le bon rôle, alors, puisqu’ils parviennent à trouver un terrain impossible dans notre tête à nous. Jean Renoir et nous-mêmes diront « Leo Mc Carey comprit les gens mieux qu’aucun autre à Hollywood ». Terry et Nickie réassemblent leur matière véridique.
Fiche Technique
Titre original: An Affair to Remember
Réalisation : Leo McCarey
Avec Cary Grant, Deborah Kerr
Production : Leo McCarey et Jerry Wald
Pays : États-Unis
Format : 1:2.35 scope Couleurs DeLuxe
Genre : Comédie romantique
Durée : 119 minutes
Date : 1957
Société de production : Twentieth Century Fox
Distribué par Ciné Sorbonne