par Nassera Metmati

Rodrigo Garcia réitère l’expression d’une création cinématographique incroyablement libre, jadis portée à l’écran par l’étude de Nine Lives (2005). Rodrigo Garcia rehausse ses pénates de cinéaste qu’on ne pourrait justifier sans le sérail théâtreux qui lui colle à la peau. Accorder à Albert Nobbs, au même titre que le flamboyant Hugo Cabret de Steven Spielberg, quelques adjectifs surannés, ou tendre à prouver le merveilleux de la bobine, égratigne le caractère entièrement réfléchi, instinctif, candide de la création qu’est Albert Nobbs. Laissons de côté les aspérités sociales. Le XIXème siècle est brossé en nuances comme le plus dense des tableaux classiques. Le réalisateur se départit, et épargne à bon escient le spectateur du sordide de la genèse biblique de la transformation du personnage d’Albert Nobbs. Albert Nobbs est Albert Nobbs. Albert Nobbs raconte ce que son titre dit. Albert Nobbs est un majordome d’un hôtel de la capitale Irlandaise. Il/Elle est un(e) valet méthodique et professionnel, timide, introverti qui a pour ambition modeste de fonder son propre commerce de tabac et de confiserie dans un quartier pauvre de Dublin. Afin de réaliser son rêve, profondément ancré dans un imaginaire de jeune fille, idéalisé sur ce à quoi pourrait ressembler à une maison de poupée, Albert Nobbs économise chaque pièce offerte par les clients de la maison, qu’il comptabilise sur un petit carnet secret. Albert Nobbs est un valet respecté, l’aîné, un secret ambulant. Les servants, les servantes le connaissent très peu et en même temps, par cœur. « Nobbs est charmant » dit-on de lui. Albert Nobbs n’est pas une anamorphose.

L’actrice Glenn Close expliquait à la presse combien elle avait dû se séparer de toute trace de féminisme pour donner une crédibilité, un cachet historique, nous ajouterons, au personnage. L’outil qu’est la transformation est porté très tôt dans la frise, autorisé au transformisme avant-gardiste. L’idéologie du féminisme prend les allures d’une fumisterie confrontée à ces véritables victimes. La séquence, très ironique, ou Albert Nobbs s’habille en femme après trente ans d’un exil vestimentaire, est sublime et très juste. Ce n’est qu’un déguisement, une vieille lubie de femmes, un égarement psychologique. Rodrigo Garcia capte avec une grâce inouïe les tréfonds intimes de son héroïne pour l’exprimer au devant des séquences, à la manière d’un travail expressif de théâtreux soucieux de faire jaillir part petites touches la vérité du héros et ses obsessions, sans lourdeur, sans précipitations. La sincérité de tout ce petit monde apprivoisée par la caméra renforce cet état d’extrême sensibilité qui se dégage de la pellicule. Nobbs disparaît naturellement. Point de regrets, de justices, de confessions abrutissantes et larmoyantes n’accompagnent sa mort. Albert Nobbs meurt presque de mort naturel. L’histoire d’Albert Nobbs disparaît dans la fumée éphémère du tournoiement du monde. Homme, Femme, peu importe. La Terre tourne sans Albert Nobbs. Il s’agit du miracle du film qui continue à faire vivre dans le réel une idée fantasmagorique impalpable, éternel. Embrassons-le entièrement comme tel. Superbe.

Fiche technique

Réalisé par Rodrigo Garcia Avec Glenn Close, Mia Wasikowska, Jonathan Rhys-Myers
Genre : Drame
Nationalité : Britannique, Irlande
Durée : 157 mins
Année de production : 2011
Distribué par Chrysalis Films