par Nassera Metmati

Aventure à deux voies, fantastiques et telluriques, J.J Abrams offre une scansion savamment orchestré dans son apogée, mais déçoit dans une linéarité de mise en scène exclusive et pas assez en relief. Dans une petite localité de l’Ohio, une bande de jeunes adolescents montent par leurs propres moyens un tournage d’un film de zombies. Près à tourner une séquence cruciale de leur histoire en pleine nuit, dans la campagne environnante, la joyeuse tribu survit à une terrible catastrophe ferroviaire qui se déroule sous leurs yeux. Extrait des lieux du drame avant l’arrivée de l’armée, les enfants vont découvrir l’incroyable vérité que cache cet incident …

Mélanger pour mieux régner J.J Abrams se serait-il épris tant de l’esprit hémoglobine de John Carpenter que du bazar desperado des fictions débridés de Quentin Tarentino ? A en dénouer un à un les fils du suspense de la dernière réalisation du cinéaste, Super 8 additionne les codes de plusieurs genres cinématographiques, allant des films de héros fantastiques tels que Harry Potter et Hermione, à la pure tradition de la comédie américaine des années 70, en particulier aux dialogues de screw ball, jusqu’à emprunter des gimmick d’adolescents célèbres de séries B portés à l’écran ; l’obèse, l’intello, le peureux, le fou furieux, la jolie fille, et bien évidemment le plus intelligent. La bande des six dédramatisent les prétentions d’un classique, ou plutôt expriment une parodie d’un système dépassé, inutile, à la limite du ridicule dans sa façon de gérer des situations abracadabrantesques, qui échappent au contrôle de l’homme. Le groupe d’adolescents catalyse un mélange mélodramatique et burlesque très au premier degré, qui la rend crédible tant dans les espaces comiques, cosmiques et psychotiques du film. L’auteur introduit leurs pouvoirs d’anti-dérisions dans pratiquement toutes les séquences du film. En vérité, le réalisateur de la saga Star Trek ne s’intéresse qu’aux propos de ces adolescents ; il l’exprime à titre personnel dans un extrait du dossier de presse « Je me retrouve dans ces losers apprentis réalisateurs ». Au fond, l’effroyable monstre, les ineffables secrets gouvernementaux, les légendes soixante-huitards de zone 51, de créatures extra-terrestres sous la houppette de son inspirateur n’est prétendument qu’un faux McGuffin afin de détourner l’unique propos qui n’est que l’exploitation ingénieuse qu’en retire une nouvelle et brillante génération…de…cinéastes…

La monstruosité change de visage Au moment où jouaient la planète des humains forts de leurs artilleries lourdes, de leurs discours révolutionnaires et héroïques, le système mondial change d’autorités ; à qui appartiennent aujourd’hui les pouvoirs ? Aux médias, aux débrouillards, aux combinards, aux utilisateurs des productions dérivés, habiles à déjouer les rouages sociétaires et à en retirer les éléments pour lesquels ils pourraient en jouir ; Charles Kaznyk (Riley Griffiths), l’apprenti réal en herbe, l’utilise dans un parlé de cinéastes, à plusieurs reprises dans les scènes du film: « un bonus de production » ; par là, il entendrait aussi tous les bénéfices qu’ils retirent d’un Etat grave. Ainsi, deux films se jouent l’un sur l’autre dans la bobine de J.J Abrams, mais à aucun moment celui qui aurait du être celui du vainqueur n’arrive à la hauteur du second, tant l’imagerie met en relief le faux rapport de force. Une séquence, dans laquelle nos apprentis cinéastes et acteurs répètent leur scène témoignage interprété par Joe Lamb – Le héros – dans un déguisement de soldat renvoie à l’ironie du monde qui se joue devant leurs propres Super 8 : le bazar ambiant d’une troupe gouvernementale impuissante – menée par un colonel de carton-pâte qu’on a du mal à prendre au sérieux jusqu’à la fin du film – dans leurs intentions, vilains et pathétiques dans un langage dépassé. La production de J.J Abrams passe ainsi pour un produit très second degré, pour lequel le spectateur n’éprouve plus aucune peur tant il est blasé de profiter d’un spectacle désolant. Le monstre fait aussi trembler qu’une poupée de cire dans les films gores. Certes, il tue, explose les crânes de ses ennemis, mais le monstre tue par choix semble t-il ; le monstre se dote d’une conscience, d’une âme, d’un pouvoir de réflexion, de pardon, d’une pensée critique qui le pousserait à ne s’attaquer qu’à ses vrais ennemis, ceux qui ont profité d’elles à leurs fins d’études. Lorsque le jeune Joe s’exprime à elle dans une phrase d’expiation aussi simple qu’à la limite du grotesque, le monstre de l’espace épargne tout le petit monde pour ne que parvenir qu’à sa mission, la fuite. Fuite en avant réussie, dans les carcans précédents qui les laisser mourir au chevet de leur monstre géniteur.