par Nassera Metmati
C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune est forcément en quête d’une épouse. L’ironie satirique de Jane Austen à l’égard des ces héros, et de ces falots personnages parodient à la limite du grotesque le cœur du propos d’Orgueil et Préjugés. Les femmes sont inlassablement en quête de maris fortunés. Un propos trop injustement universel qui justifie la réussite du film, tant dans sa beauté plastique que dans une mise en scène réglé au millimètre, et pourtant si aérée, si fraîche et si fluide.

Les Bennett

Mr Bennett est propriétaire d’une sobrette propriété de Longbourn, bourgade située en pleine campagne anglaise. Aux côtés de sa frivole et pas très intelligente épouse Mrs Bennett, il élève cinq filles toutes aussi attachantes que dissemblables : Jane, Elisabeth, Mary, Catherine et Lydia la cadette. En appréciant l’ouverture qui s’illumine des ondulations de la nature, l’héroïne nous guide vers l’adorable maison des Bennett où se pose le ton très sensuel de la pellicule, que le réalisateur Joe Wright a brillamment insufflée à cette version d’un classique.

La famille Bennett apparaît d’emblée comme une famille chaleureuse, joyeuse, soudée, qui respire la vie et à priori vide de secrets de famille cachés qui tôt ou tard révèlent les ponts dramatiques qu’empruntent le cheminement d’un film. Cela n’est pas le cas chez les Bennett.

Son héroïne, Elisabeth, nous guide à l’intérieur d’un petit palais remplie de friandises. Les fanfreluches se baladent sur la table de la salle à manger, les chapeaux de paille s’étalent à la lumière du jour. Elisabeth nous guide vers le noyau géographique de l’histoire ; dès lors nous devinons que c’est elle qui sera le personnage par delà lequel gravite touts les prétextes du film ;  la jeune fille est précoce : elle se distingue déjà du reste de sa famille.

La porte est déjà grande ouverte chez les Bennett : preuve d’une ouverture possible aux changements, à l’évolution d’une condition sociale, aux luttes, aux matières non imperméables, aux refus à priori de toutes formes de séparations.

Car de conditions sociales, elle est la grande gagnante des folles envolées de Mrs Bennett autant que les raisons qui jalonnent la pellicule ; l’arrivée d’un jeune et riche célibataire Charles Bingley à Netherfield attise les envies des quatre filles Bennett ; qui d’entre elles aura la faveur de l’homme tant convoitée ? Qui passera la première la bague aux doigts ?

A cet instant, toutes les ruses, les pièges, les convoitises, les mises en situations comiques trouvent leur sens, où les va-et-vient sentimentaux défient en permanence ses personnages. La caméra du cinéaste scrute les variations, comme si elle cherchait désespérément à détecter l’élément insondable, détail générateur qui fera partir le feu en flamme, jusqu’à son apogée finale.

Éléments perturbateurs

Serais-ce Darcy, digne de se métamorphoser en icône picturale, et qui est débarqué à l’improviste – par là, peu porté par la plume originel de Jane Austen- qui trouble, perturbe le champ filmique ? Au cours de chacune des séquences de leurs rencontres, le jeu très tendue entre Darcy et Elisabeth porte à son paroxysme la partition scénique d’un vaste champ théâtral.

Dans sa résonance, le masterpiece, en ces termes, colle à la sublime scène de bal, scène centrale du film, qui voit naître la fusion de deux corps et de deux esprits que les castes, l’argent, l’origine et les espoirs définissent incompatibles. Charles Bingley, le célibataire convoité et le Comte Darcy organisent donc dans leur immense propriété un bal, divertissement hautement bourgeois au demeurant, puisqu’il est l’opportunité aux rencontres dans ses usages classiques. Sous les yeux de la steadycam, le cinéaste explore la ronde princière des salles et des invités privilégiés de la belle société.

Attendu de sa rencontre avec un jeune soldat arrivé, l’émoi d’Elisabeth monte d’un cran le crescendo musical dès les premiers mouvements de danse. Aux côtés de sa sœur aînée Jane et d’un pauvre trublion accolé à ses basques, Mr Collins, on entend se superposer les conversations des protagonistes.

Pas une miette des champs contrechamps ne nous échappe ; ce n’est pas comme si… nous sommes au beau milieu de la piste de danse  à participer de manière passive aux confidences du trio Elisabeth, Jane et de Mr Collins. Pour comparaison, les tribulations de Jennifer Ehle et de Colin Firth de la série du même nom nous paraissent ternes.

La très belle scène, ralentie, entre Elisabeth et le Comte Darcy, à son invitation, le pousse encore plus loin : tout s’estompe ; les rires, les bruits qui ourdissent les braillements d’une foule convaincue de faire désormais partie d’une élite sociale. Ne voit-on pas ainsi la mère Bennett heureuse de se fondre parmi les riches familles de la région… ? Dès le début de la bobine, on ne voit que ce désir de se hisser parmi ses membres.

Ce désir n’est pas l’absolu du personnage d’Elisabeth au grand dam de Mrs Bennett d’ailleurs qui espérait la convaincre de convoler aux bonnes noces du protégé de Lady Catherine de Bourg, Mr Collins. Ainsi, sa première rencontre avec le Comte Darcy est loin d’être encourageante, bien que l’on sent poindre le trouble qui courra le long du film ; contre toue attente,  Darcy entreprend ce premier geste de main, corporel, dans une scène classique d’apprentissage. Bousculé dans ses préjugés par la jeune Elisabeth,  il se ravise vite à faire face à un esprit qui remet en question ses jugements, son orgueil, ainsi qu’à sa fierté.

La confrontation des idées, sociales aussi, atteint son paroxysme au moment où Darcy avoue de manière soudaine l’intention d’épouser  Elisabeth ; celle-ci s’empresse de répondre par des accusations, des injonctions de conspirations envers sa sœur Jane et du soldat Wickam. Cette séquence fait résonner haut et fort les non-dits des individus, leurs incompréhensions ; pourtant le désir est là. Et l’aveu haineux fait rejaillir les pulsions de ces protagonistes.

De l’éveil

L’œil du cinéaste est à l’affût des réactions physiques des éléments psychiques. Un plan singulier, presque onirique, s’attarde sur un face à face entre Elizabeth et un miroir: immobile, sous la lumière déclinante du soleil, elle est hypnotisée par le reflet de son moi intérieur, qui la révèle à sa conscience. Elle s’égare dans un rêve où l’apparition de Darcy – ou de son double- fini par mettre fin à sa contemplation. Le souffle, l’expression physique suffit à sortir de la méditation.

L’intention se traduit dans la manière de révéler les défauts du corps, les rougeurs, les sueurs, les tremblements, ainsi que les atermoiements affectifs. L’oreille souligne ainsi les respirations, les souffles, ce que Joe Wright s’et efforcé à mettre en valeur.  Le parcours languissant sur les œuvres d’art de la demeure familial de Mr Darcy est remarquable : les sculptures investissent l’espace jusqu’à la transposition des tableaux du roman de Jane Austen en miroir des trémolos intimes de la jeune héroïne.

L’affût glisse ainsi lentement au propos du film, à ces manifestations sociales ; du réveil, Elisabeth se retrouve confrontée à ses propres préjugés. Les conditions se jouent aussi dans l’autre sens. De ce mur, des ces barrières, il ne restera rien qu’un feu de paille. Il suffit de sublimer la rupture par ce qui aurait du être la fermeture du film. La  scène la plus érotique d’élévation amoureuse, pure, où les palpitations de Darcy, sa brise défait les emprises du tout au tout. Front contre front, les yeux ne s’abaisseront plus à voir ce qui n’existe plus.

Fiche technique

Réalisé par Joe Wright

Avec Keira Knightley, Matthew MacFadyenn

Titre original: Pride and Prejudice

Long métrage américain

Genre: Romance, Comédie

Durée: 127 min

Année de production: 2005

Distribué par Mars Distribution