NTERVIEW Carlotta (1/3)
PREMIERE PARTIE
Carlotta est une passerelle entre l’actualité du cinéma et l’histoire du cinéma. Dans cet esprit de reconstitution de l’histoire, de transmission, du rôle « de passeur », Vincent Paul-Boncour livre les secrets de fabrique de sa maison, qui vient de fêter ses dix ans.
YOSHIDA, OSHIMA ET SIRK N.M : Dix ans, la boucle est bouclée. Pour Carlotta, une nouvelle année commence. S’agira-t-il du point de départ d’une nouvelle ligne éditoriale, ou de la continuité de la tradition Carlotta?
Vincent Paul Boncour : Les sorties annoncées sur le premier trimestre sont en pleine continuation de notre ligne éditoriale. Depuis plusieurs années, nous avons essentiellement mis l’accent sur le cinéma américain et le cinéma japonais. Nous avons déjà sorti un certain nombre de titres de cinéastes japonais, tels que Yoshida et Oshima l’an dernier. Après la parution des deux premiers coffrets, nous allons clôturer l’intégrale Yoshida cette année. Cette fois-ci, nous nous positionnons sur la période allant des années 70 jusqu’à 2000, le dernier film de Yoshida Femme dans le Miroir datant de 2002. En un an, nous aurons bel et bien sorti l’intégrale de l’œuvre de Yoshida. Début mars, nous abordons la thématique d’un autre cinéaste : Oshima, avec quatre nouveaux titres. Nous avons déjà édité la Trilogie de la Jeunesse, Les plaisirs de la Chair et Nuit et Brouillard au Japon . Aujourd’hui, nous éditons quatre titres, toujours produits au sein du studio Shochiku qui fut l’une des Majors japonaises avant qu’il ne finisse par prendre leur indépendance. Si je ne me trompe : quatre titres sont encore aujourd’hui inédits en salle. Il s’agit dans ce cas là de vraies raretés, de films aussi forts que L’enterrement du Soleil.
N.M: Qu’en est-il du cinéma américain VPB: Nous nous penchons actuellement sur un nouvel opus de Douglas Sirk, un film d’aventure, cette fois-ci :Capitaine Mystère. Il s’agit d’une autre facette du cinéaste que nous connaissons moins, Douglas Sirk, cinéaste de films d’aventures, de cape et d’épée. Je tenais aussi à signaler la sortie d’une fameuse comédie italienne :Mariage à l’italienne en DVD.
L’ITALIE: PASOLINI ET LA CHINE D’ANTONIONI NM : Vous effectuez sur les DVD un vrai long travail de suivi éditorial avec les auteurs phares, comme Sirk ou Pasolini, qui fondent en quelque sorte la signature de Carlotta ? Nous n’avons pas sortie l’intégrale de Pasolini d’un coup, effectivement. Nous avons d’abord sorti Salo et La Trilogie de la Vie, puis, un an après, ses films des années 60. C’est un travail qui s’établit sur plusieurs années autour d’un auteur, de l’intégralité ou de la quasi-intégralité d’une œuvre. FM : Y at-il a des chances que nous puissions voir Porcherie de Pasolini ? Je crois que c’est le seul film de fiction de Pasolini qui n’existe pas en DVD. Nous continuons notre travail avec un volet moins connu de l’œuvre du cinéaste, plus documentaire: ses fameux Apunti. Nous prévoyons la sortie d’Orestie Africaine, puis son documentaire Apunti sur l’Inde en avril. Lorsque nous travaillons avec des cinéastes aussi importants, nous découvrons à chaque fois de nouvelles œuvres. A certains moments, elles ne sont pas disponibles pour des questions de droits ou de matériels. Puis, d’un coup, elles le deviennent. Par exemple sur Fassbinder, nous avions sorti une grande partie de ses longs métrages. Deux ans après, nous pouvions éditer sa série-télé phare, Berlin Alexander Platz. A l’époque le film existait en 16 mm. Il a ensuite été restauré par les ayants droits, par la fondation Fassbinder. Ce n’est que quelques années plus tard que nous avons pu acquérir les droits et le matériel à la hauteur du support DVD pour faire exister le film. FM : A ce propos, lorsque vous évoquiez plus tôt le cinéma italien, nous avons remarqué la sortie prochaine de La Chine d’Antonioni. Il s’agit d’une découverte! Pour beaucoup, c’est une vraie découverte. C’es un film extrêmement rare tiré de la période où il avait réalisé Zabriskie Point ou Profession Reporter. Antonioni reçoit une commande pour effectuer ce documentaire sur la Chine. Avant de commencer ses premiers longs-métrages, c’était un cinéaste qui avait déjà réalisé beaucoup de documentaires. Nous en avions proposés certains sur le coffret Antonioni. Il s’agit d’un retour aux sources. J’espère qu’il va susciter beaucoup de curiosités, et mettre en parallèle son travail de documentariste avec ses grandes œuvres de fiction FM : Le film est-il une commande du gouvernement Chinois? Exactement. Il avait plus ou moins carte blanche. Pour autant, le film à été censuré à l’époque et n’a était montré en Chine, à Pékin, qu’en 2004. Nous présentons sa version intégrale en France de quatre heures, alors que le film était sorti en France à l’époque dans une version longue de seulement deux heures. FM : Avez-vous déjà pensé au contenu éditorial ? Nous sommes en relation avec l’assistant d’Antonioni, Carlo di Carlo, afin d’organiser une interview. Finalement, c’est un film sur lequel il existe très peu de choses. En termes de suppléments, nous souhaitons tenir une approche pas seulement cinématographique, mais aussi géopolitique. Nous pouvons intéresser différents profils de publics, pas uniquement cinéphile.
HUSTON, ERICE, NOUVELLE CINÉPHILIE, OZU ET LE PRINCE AHMED NM : Que ressort-il de votre bilan éditorial sur l’année 2008? Nous avons beaucoup travaillé sur l’évènement Yoshida. Et nous avons sorti un certain nombre de films américains cultes, comme L’Affaire Thomas Crown. FM : Comment ont fonctionné les films de Huston? Moyen. Ce sont des films moins reconnus, à tort. Ce n’est pas forcément là où la cinéphilie attend Huston. FM : Pourtant, il s’agit d’une vraie redécouverte pour le public cinéphile : Le Malin est une œuvre sublime. C’est excellent oui, mais ce n’est peut-être pas suffisamment établi dans la cinéphilie, y compris dans la filmographie de Huston. Et même si beaucoup d’historiens, de cinéphiles montrent à quel point ce film est contemporain. Au Dessus du Volcan, par exemple, a toujours été sous-estimé par des gens qui ne l’ont pas forcément revu. FM : Après la parution récente de L’esprit de la ruche, aura-t-on la chance de pouvoir découvrir les autres films de Erice? Nous travaillons actuellement sur la parution de Songe de la Lumière et nous aimerions beaucoup aborder son dernier film, mais cela reste assez compliqué en termes de droits. L’année a été riche, notamment avec l’évènement des dix ans. Certains titres se sont avérés réellement passionnants, d’autres plus difficiles, face un marché exigeant, notamment en DVD. Le public s’oriente plus sur des valeurs sures: des titres fameux, des noms de réalisateurs. Lorsque nous sortons L’Homme qui Voulait Savoir , la cinéphilie ne s’y retrouve pas. Elle connaît mal le film. Même chose avec les mélodrames Douglas Sirk de notre deuxième coffret. Et même si un titre: La Ronde de l’Aube est aussi établie que Mirage de la Vie ou Tout ce que le Ciel Permet. FM : En général, ne croyez-vous pas que la cinéphilie est en passe de changer? Nous avons l’impression, lorsque vous proposez des titres fameux, que les gens se ruent pour les voir, mais qu’il n’y a plus forcément dans la cinéphilie de véritable curiosité? Oui et non. La cinéphilie évolue constamment. C’est vrai que par rapport au moment ou nous avons commencé il y a dix ans, les grands classiques américains en salle étaient alors les films qui marchaient le mieux en terme de cinéma du patrimoine. Ces films fonctionnent aujourd’hui moins bien qu’auparavant. Le public s’oriente plus sur le cinéma européen, le cinéma italien, le cinéma allemand ou le cinéma asiatique. Les cinéphiles se sont plus intéressés aux mélodrames de Douglas Sirk comme Le Temps d’aimer, Le Temps de Mourir ou à un Assurance sur la Mort plutôt qu’à Uniforme et Jupons Courts ou Les cinq secrets du désert, les premiers films américains méconnus de Billy Wilder. Néanmoins, ne généralisons pas. Vous aurez toujours des films qui sortent du lot pour vous contredire. FM: Par exemple? Lorsque nous avions sorti il y a quelques années Il était un père d’Ozu, nous avons ressenti une vraie curiosité de la part du public, de la presse, pour un titre moins fameux que Voyage à Tokyo par exemple. Nous avons travaillé aussi pour le jeune public avec Les Aventures du Prince Ahmed, un film d’animation allemand de 1926 et nous avons des retours extrêmement positifs de la presse, des exploitants et de la profession.
A SUIVRE..}