par Nassera Metmati

C’EST UN ORIGINAL

Comme l’est la quasi-totalité des réalisations kiarostamiennes, l’idée de l’intrigue, le mobile est volontairement banal presque anecdotique, issue d’une expérience vécue ou réelle. Une femme française dirige une galerie d’art en Toscane. Elle rencontre un écrivain anglais critique d’art lors d’un colloque. En virée dans le village de Lucignano, l’homme et la femme joue le jeu du mari et de l’épouse. Subrepticement, ils créent l’illusion d’un véritable couple.

L’illusion. Le cinéaste nous perd et nous éblouit dans la construction fictive de plusieurs réalités. Le réalisateur de Où est la maison de mon ami ? réinvente sans arrêt des illusions infinies à chaque fois qu’il bâtit une nouvelle œuvre. Après quarante ans de travail, de bifurcation vers un cinéma plus pauvre, on pourrait se dire que l’idée créatrice, la morale intransigeante de la création artistique de Kiarostami changerait. Et non. Que nenni.

Ce qu’ il y a de déconcertant est qu’à chaque fois le réalisateur réinvente une parenthèse de cinéma en allant toujours un peu plus loin, tout en gardant intact ses bases, celles qu’il défend urbi et orbi d’un cinéma inachevé qui laisse le spectateur à se comporter en créateur.
Il y a donc pléthore d’éléments, d’idées ainsi qu’un concept d’art cinéma qui reviennent dans le film, qui ont déjà été exploités auparavant, et qui franchissent un nouveau cap.

Hormis un cadre inédit hors de l’Iran- triple pied de nez à la République Islamique puisqu’ajouté à cela la femme est le personnage principal sur l’écran ; elle n’est pas séparée de l’homme- la séquence du voyage en voiture dans les sentiers en forme de Z ressemble à un voyage initiatique tel que le proposait le Goût de la Cerise. La voiture, qui capte tout en scope, y représente une seconde maison par delà laquelle tout se reflète. Là où l’auteur dédicace les livres de la galeriste, elle est le lieu privilégié par delà lequel la femme noue une intimité tout du long. Qui arrive à son paroxysme dans l’évocation de souvenirs de l’anniversaire des quinze ans de mariages du vrai/faux ( ?) mari et vrai/fausse épouse…La relation ( ?) mûrit.

L’œuvre continue de mûrir en parallèle, paraît plus vraie que nature alors qu’elle épouse davantage encore la trajectoire inverse ; est-ce le fait que Kiaro réunit chacun de ses éléments ? Est-ce grâce à l’élévation du regard sur la supériorité de l’art, première fois visible avec un livre, une fontaine, ou une sculpture ? Est-ce dû à l’aisance chahinienne du personnage incarnée par Juliette Binoche qui à la manière de l’amoureux transi Hossein dans Au travers des Oliviers insuffle une légèreté par l’incertitude croissante du personnage qu’il est censé incarner ?

En tant que spectateur, le cinéaste iranien réfléchit aussi à sa propre œuvre en tant qu’objet d’art. Avec un bon regard l’œuvre d’art peut-être original. C’est pourquoi la copie conforme dans le film est aussi meilleure que l’original ; chacun exprime un regard qui est une vérité à laquelle on appose une autre contre-vérité elle aussi une vérité en soi. L’art cinéma reste supérieur.

Voilà donc du Kiarostami comme jamais. Voilà une conscience. Confondant dans la beauté de la forme, par delà dans une écriture ciselée, qui nous emmène à chaque virgule ajoutée vers une dimension inconnue du cinéma, comme si celui-ci resterait à jamais inépuisable.

FICHE TECHNIQUE COMPLÈTE

Date de sortie cinéma : 19 mai 2011

Réalisé par Abbas Kiarostami
Avec Juliette Binoche, William Shimmel

Long-métrage italien, iranien, français
Genre : Drame
Durée : 01h46min
Année de production : 2010
Distributeur : MK2 Diffusion