par Nassera Metmati

Restons objectifs. D’un côté vous avez les salauds de petits bourgeois qui aux premières joutes crachent leurs contradictions d’hommes prétendument ouverts au monde et qui font de l’affaire Omar Raddad un argument de vente pour défendre un petit musulman. De l’autre, le clan d’Omar, une famille, tranquille, française mais imprégnée (trop ?) d’une culture, mise en abyme voulue par un cinéaste dans une idée de victimisation d’un visiteur étranger et de fausse gloire personnifiée de la réussite à la française. Le prétexte de fiction sert à recréer une forme d’antagonisme dans une société largement entamée par ses différences et qui la rendent de plus en plus irréconciliables aux yeux de sa propre justice. Restons objectifs ?

Objection de conscience

Denis Polydadès (Pierre-EmmanuelVaugrenard) ressort comme le seul élément honnête de la mise en scène de Roshdy Zem, encore que ce membre éminent d’un symbole aristocratique français qu’est l’Académie Française rend publique l’antichambre d’une vérité : « La France est exigeante dans son intégration ». Au fur et à mesure que la démesure grandiloquente transforme Omar Raddad en une bouillie humaine, pour ne ressembler qu’à un pantin, un jouet, une marionnette, une bête de foire – sus à Ophuls – par laquelle l’opinion cherche des réponses et opine comme un brave soldat vers une rédemption, reflet des hypocrisies d’un peuple, se greffe le second scénario, le plus audacieux, qu’aurait dû servir, mieux, à l’intriguant personnage. Mille pistes et un parti pris. Ainsi, les séquences empruntent non pas un split screen d’images, mais un split qui juxtapose l’histoire d’Omar Raddad, de son inculpation à sa libération, à la contre-enquête de Vaugrenard. L’intention millimétriste de l’écrivain va jusqu’à mimer, reproduire les faits imputés à Omar Raddad. Deux séquences superbes rallient à la cause nationale ; l’écrivain fait une course à motocyclette dans le but de chronométrer le parcours du présumé meurtrier – à cette date de l’enquête – et surtout, la reconstitution, dans les conditions de la scène du crime, de l’inscription des mots gravés au sang sur la porte de la cave par la propre victime OMAR M’A TUER. « Impossible… » …Troublant. Omar Raddad l’est aussi dans quelques réminiscences. Les éléments sont-il véridiques ou pas ? Le refus de participer à la reconstitution du crime dont on l’affuble nous rabat dans nos élans, y compris par ceux inspirés de Vaugrenard. Lui-même assène pour mieux s’en convaincre la terrible question à l’épouse de Raddad, Latifah, après sa libération « Avez-vous pensé au moins une fois que votre mari eut été coupable ? » Travail vain puisque Raddad, lui-même explique que sa libération n’eut pas été réhabilitation. Pis, le pion fictionnel desservirait la réalité d’une défense qui ne fût pas aussi passionnée qu’elle est mise en scène. Ainsi, le cinéaste mélange tout pour confondre dans un brouillard le vrai du faux, ce qui arrange et ce qui sert…il fait du cinéma une cause perdue.

Des faux systèmes

La justice joue de ses mauvais atours ; starisation des parties, dramatisation exaltée, faits d’objectivité ; le V de Victoire de l’avocat Jacques Vergès devant la presse, à la sortie du condamnée en 1998, est le signe de cette volonté de reconnaissance, d’un trophée contre les justiciables et le fait d’une administration judiciaire qui aurait la gangrène, ou serait allergique à la réalité de sa propre société, une justice qu’elle aura créer depuis des âges. Omar Raddad en devient presque invisible à des actes portés en justice. Le contexte justiciable tend à s’effacer ; il semble n’être qu’un miroir aux alouettes que l’on brade à la hauteur du prix de l’accusé. La remise de peine partielle accordée par le Président Jacques Chirac pour (une faveur) le roi Hassan II du Maroc en 1996, étalé sans préambule dan la fiction en est un des ressorts historiques et appuyé mécaniquement dans le déroulement du film. De même que, au cours du long procès carnavalesque, la défense s’épuise peu à porter des pièces autant que le banc des juges à les accepter. Les bavures des spécialistes à dater le jour précis du crime, puis à diverger d’opinion pour la faire converger en défaveur de l’accusé met à mal le système. Qui doit-on croire ? Les erreurs sont-elles admises au regard du contexte? Et quel contexte. L’affaire Raddad telle qu’elle est conduite est construit unilatéralement par Zem; le système du clan Raddad n’en perd pas moins qu’une considération qui n’avait d’égale que sa discrétion, ironiquement mais cyniquement rappelé à l’ordre dans sa tranquillité et sa réalité. Omar Raddad regarde les émissions du français moyen, du français populaire, voir du français peu éduqué. Omar n’a pas été à l’école de la république. Pourtant la France reste quasiment intacte. L’aveu d’impuissance du film subsiste à l’interrogation du spectateur en droit de se demander : Omar Raddad a-t-il été oui ou non coupable ou innocent du meurtre de Ghislaine Marshall ? Des faits à des cinémas…

Fiche technique Réalisation : Roschdy Zem Acteurs: Denis Podalydès, Sami Bouajila Long métrage: France Genre: Drame Durée: 125 min Année de production: 2010 Distribué par Mars Distributions.