par Nassera Metmati

MERCREDI 31 AOÛT 2011
INTÉGRALE À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE
INTÉGRALE BLAKE EDWARDS À LA CINÉMATHÈQUE FRANCAISE


C’est le cadeau de la rentrée: une intégrale Blake Edwards à la Cinemathèque Française (jusqu’au 17 octobre), cinéaste décédé en novembre dernier à l’âge de 88 ans. C’est l’occasion de découvrir une dizaine de films introuvables ou difficilement accessibles comme Peter Gunn, Deux Hommes Dans L’Ouest, Opérations Clandestines et, surtout les oeuvres de la géniale et si intime dernière période: L’Homme à Femmes (remake de L’Homme Qui Aimait Les Femmes de Truffaut), Micki And Maud et That’s Life.

 

S’il est essentiellement connu pour ses films burlesques avec Peter Sellers, Blake Edwards réalisa aussi, au coté de son musicien Henry Mancini et de sa femme Julie Andrews, une œuvre éminemment personnelle où il est parvenu à aborder de front l’intimité de personnages angoissés par le vide de l’existence et de la vieillesse.

Premiers pas

Il est né dans le cinéma sans avoir besoin d’y tomber : son grand père, J Gordon Edwards réalisa les grandes productions de la Fox dans les années 1910. Il fait néanmoins son apprentissage par le bas en débutant comme coursier. Il décroche de petits rôles dans Les Sacrifiés de John Ford et Les Plus Belles Années De Notre Vie de William Wyler. Parallèlement il commence à écrire pour la télé et la radio et devient le scénariste attitré du réalisateur de comédies Richard Quine. Ensemble, ils composent Ma Sœur est du Tonnerre et Le Bal des Cinglés avec à chaque fois Jack Lemmon qui allait devenir un ami et l’un de ses acteurs fétiches. Au début des années 60, Edwards perce vite comme cinéaste, en réussissant à doser nostalgie burlesque et modernisme comme dans le détonnant La Grande Course Autour Du Monde, véritable cartoon filmé avec Nathalie Wood et Tony Curtis.

En 2004, lorsqu’il reçut des mains de Jim Carrey un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, Blake Edwards déboula sur scène en détruisant le décor dans un fauteuil roulant lancé à vive allure. Le réalisateur de la série de La Panthère Rose restera le symbole de la modernité alliée à l’esprit burlesque hérité de ses idoles : Laurel et Hardy. Mais il ne faudrait pas réduire son œuvre à sa science pointue du gag et du parfait timing. Edwards a inventé un style doux et sophistiqué, d’une grande richesse formelle, qui lui a permis, sous couvert d’humour, de fustiger les mœurs de ses contemporains et de parler ouvertement de ses doutes existentiels.

Douleur et nostalgie sous le gag

Le temps Du Vin Et Des Roses est un mélodrame bouleversant sur l’alcoolisme avec Lee Remick. Il est intéressant de noter que ce sont deux auteurs de comédie, Billy Wilder (avec Le Poison) et Blake Edwards, qui ont signé les meilleurs films sur ce sujet éminemment sérieux. Diamants Sur Canapé était à l’origine destiné à Marylin Monroe quand l’agent d’Audrey Hepburn insista pour que la star de Sabrina incarne cette call girl paumée et rêveuse née sous la plume de Truman Capote. Or l’actrice offre ici une de ses meilleures interprétations tant son aspect sophistiqué se prête au style mondain et ingénieux d’Edwards. Le film impose l’excellence de sa fructueuse collaboration avec le musicien Henry Mancini, qui remporte un Oscar pour la douce mélopée de Moon River. On peut se demander ce que serait l’œuvre du cinéaste sans Mancini, sans le thème de La Panthère Rose, sans ces intermèdes à la fois sirupeux et doux, mièvres et swinguants qui donnent littéralement le LA du ton edwardsien.

On trouve dès le premier Panthère Rose une vraie douleur tapie sous les gags : l’inspecteur Clouseau est mal dans sa peau, mal à l’aise en société ou quand il danse et passe son temps à vouloir faire bonne impression. Il sait qu’il va se prendre les pieds dans le tapis, s’accrocher à la porte et tente souvent d’éviter les pièges pour mieux les provoquer. Jusqu’au bout, il est humilié par ses ennemis, ridiculisé par sa femme et finira par payer les erreurs de personnages moins bêtement scrupuleux que lui. En fait, Peter Sellers, dans la série de 6 films qu’ils tourneront ensemble jusqu’à la mort de l’acteur en 1980, joue un minable policier qui tente de ressembler aux grandes figures héroïques de détectives hollywoodiens. Dans Quand L’Inspecteur S’emmêle, plus il fait mine d’incarner un fin limier de cinéma, plus il provoque des catastrophes. Beaucoup plus sympathique, l’acteur hindou qu’interprète Sellers dans The Party souffre à peu près des mêmes maux que Clouseau. Il tente de faire bonne figure, de s’approprier les codes de la bonne société hollywoodienne pour être remarqué. Il tente de rire comme ses convives, de faire les mêmes blagues qu’eux, de se fondre dans le décor. Mais plus il joue le consensus, plus son étrangeté, son exotisme apparaît et provoque malgré lui la destruction en chaine du décor.

Darling Lili est le premier fruit de la collaboration entre Edwards et Julie Andrews qu’il épousa pendant le tournage. C’est à la fois une comédie musicale, un film d’espionnage, de guerre, et un marivaudage aussi burlesque que sentimental. Si chacun des genres est sublimé, Edwards et son scénariste William Peter Blatty (futur auteur de L’Exorciste avec qui Edwards écrivit sa comédie anti militariste Qu’as Tu Fait à La Guerre, Papa ? en 1966) échouent à vouloir gagner sur tous les tableaux. Edwards malmène déjà l’image de Julie Andrews. Alors qu’elle chante des chansons mièvres pour des militaires blessés, la star de Mary Poppins se révèle ambivalente : c’est une espionne allemande sans tabou qui offre un strip-tease incandescent à Rock Hudson pour le garder dans son lit. Edwards reprit un scénario d’espionnage à peu près similaire dans Top Secret sur la liaison entre un espion soviétique (Omar Sharif) et une diplomate anglaise. Film méconnu, il s’ouvre sur de longues scènes typiquement edwardsiennes de promenades calmes et ensoleillées. Par l’entremise de Sharif, il exprime ouvertement, avec douceur et sagesse, ses opinions politiques et ses premiers doutes sur le temps qui passe.

Comédies de l’intime

A partir de ce film, il va évoquer ses problèmes de couple, ses préoccupations sexuelles, et égratigne de plus en plus l’image lisse de son épouse comme dans le virulent S.O.B où il met en scène Julie Andrews dans une provocante scène musicale sado maso. Dans ce film personnel, il règle ses comptes avec Hollywood. C’est une œuvre étrange, violente, souvent vulgaire, émaillée de gags géniaux, qui s’achève dans le sang. Elle, immense succès mondial, détonne par la manière dont il parle ouvertement de la crise du mâle vieillissant, de ses problèmes de virilité. On retrouve ce ton calme et doux, drôle et inquiétant, burlesque et bavard, cultivé et grossier dans les années 80. That’s Life est encore plus inquiet qu’à l’accoutumée : il y parle de l’angoisse de la mort. Julie Andrews affronte un cancer tandis que son mari, Jack Lemmon, craint l’impuissance. Comédie de travestissement, dans la plus pure tradition du genre, Victor Victoria réussit à harmoniser les différents visages d’Edwards : le comique déjanté, le moraliste inquiet et le faiseur nostalgique de comédies musicales à l’ancienne.

Malgré ses efforts pour casser l’image sucrée de Julie Andrews, elle est restée la nounou de La Mélodie du Bonheur. De la même manière, Edwards ne s’est jamais tout à fait défait de sa stricte image de simple amuseur, d’architecte génial du gag. Mais si on regarde bien ses films, on voit toujours une action sérieuse au premier plan tandis que derrière, d’autres personnages passent leur temps à tomber, à chuter. C’est peut être cela la clé du bonheur de son cinéma : figurer sur un écran l’ambiguïté du sentiment de joie où la tristesse n’est jamais loin.