par Nassera Metmati

Ce n’est pas un film comme les autres ; c’est un film bizarre. Rien n’y prête à la transgression, rien n’inspire à la naissance et pourtant l’effet des Nuits rouges ne laissent pas indifférent. A n’en pas douter, les pistes des Nuits ne sont pas des raccourcis empruntés pour appâter le spectateur, venu chercher des pastiches pour lesquels il se serait finalement lourdement trompé.

Psychopathes en série

Trompe l’œil des cinéastes Carbier et Courtoud. Et pourtant on espère que leur long séjour dans la capitale Hong-Kongaise n’ont pas suffit à tordre des fantasmes primitiviques, aux abords innocents versus une machine filmique anodine et sans grand intérêt.

Anodine conviendrait bien mieux à la structure de son scénario un peu bigarré ; l’intrigue se résume à la contemplation de son personnage ; une française en cavale se retrouve au beau milieu d’un imbroglio pour mettre la main sur l’élixir du premier bourreau de l’empire, un poison extatique mortel capable de démultiplier les plaisirs et les douleurs. Pensez aux vielles étiquettes déchirées de bouts de papiers d’enquêtes noires reconstituées une par une pour résoudre une énigme, qui deviendrait inextricable jusqu’à parvenir au bout de sa dissolution puis au plaisir ultime de sa surprise.

Carbier et Courtaud peine dans l’écriture vertigineuse qu’aurait du saisir une telle idée de ce film. Cette étrangeté résonne dans une scène charnière où Catherine, française, croise Carrie, le Bourreau de Jade qui a réussi à s’approprier l’élixir en question dans le but de torturer ses victimes avec l’aide de son complice Monsieur Wong.

Car Carrie est une femme psychopathe, une tueuse en série obsessionnelle et sans pitié. Et si il est bien un ordre sur laquelle les cinéastes ne se sont pas trompés, il s’agit de visages et de personnages totalement en adéquation avec leur rôle. Chaque rôle se garde bien de rester à sa place, sans empiéter d’un millimètre sur leurs doubles ; de même les actions, prédisposées pour chacun d’entre eux, ne dérogent pas de leur chemin tracé, ceci jusqu’à la dernière miette du film. Chacun campe sa position, érige son mûr, délimite son espace solide et existentielle ; personne ne sortira de ses propres obsessions.

Les Espaces temps

Il est un fait original pour être signaler ; il est rare de regarder Hong-Kong de ces hauteurs de vues. Les cinéastes utilisent habilement la technique sans en abuser : la contre plongée ainsi que les plans rapprochés sont les plus utilisés pour surligner les rencontres entre les paranoïas dangereuses de ses personnages. Par exemple, les nombreux face à face entre Carrie et Catherine recourent au premier de ces procédés, dans le but de marquer les tensions tant dans leur emplacement réel que dans leur caractère.

Dans la technique pure, cela n’est pas nouveau; mais dans ce film elle prend une œuvre dimension, fait encore étrange, comme ses bifurcations oniriques brèves qui sont là sans véritables raisons mais qui parviennent à faire avancer le déroulement de la bobine dans le bon sens. Serais-ce dû à la fois dans la multiplicité des connexions ? On sait partout en lisant les comptes rendus de presse que nos deux comparses se sont bien régalés de Tsui Hark, Wong Kar Wai et grands cinéastes classiques pour recracher ses effets à suspense. Mais là, encore, cela fonctionne dans une osmose personnelle qui améliore leur objet de cinéma.

Hong-Kong apparaît balayé de ses triades, affrontements mafieux épuisants, engueulades et criards bien qu’à fort potentiel comique – que l’on a pu voir chez Kitano. Contrairement à ce dernier, et parce qu’ils sont nouveaux, la peur de montrer une version apparemment soft de la capitale les a emmenés encore plus loin dans la lecture d’une ville qui cache décidément bien des temporalités inconnues.

Je suis une artiste

L’artiste, intemporel lui, continue à faire fantasmer les théories sur leurs évolutions ou leurs régressions. Ce qui n’a pas échappé aux Nuits Rouges. L’interrogation n’est pas tant dans l’affirmation d’un monde que Carrie souhaite recréer en s’appropriant la potion empoisonnée d’un bourreau disparu. Il est plus dans la considération et la place de l’artiste, féminin et masculin, de la Chine au temps des opéras Yueju jusqu’à sa décadence moderne.

Adieu Ma Concubine relatait avec force et magnificence cette ambigüité lorsqu’elle était au cœur d’une histoire, ou de sa propre révolution humaine. Aujourd’hui, cette forme de révolution sociale n’existe plus. Que réinventer ? Que créer sinon la parodie scandaleuse, criminelle, de ses géniaux inventeurs ?

Carrie assiste fréquemment aux répétitions d’un opéra invité de toutes pièces par ses auteurs ; l’artiste est là pour sublimer l’art à jamais perdu, et il est reste là, planté dans le décor, comme – à la manière de ses personnages – fixe et sans issu. L’ultime séquence fait emprunter à ces géniaux créateurs un chemin que l’on sait déjà voué à l’oubli.

 

La fantasmagorie de la Femme Araignée et la sorcellerie allenienne du Scorpion de Jade sortent des chapeaux d’auteurs magiciens ; ces auteurs-là, pas encore magiciens, offrent un nouveau titre à un style, une expérimentation qui a déjà dépassé le cap du laboratoire et du scalpel. La mythomanie de duos fonctionnerait apparemment bien dans le monde du cinéma.


Fiche technique

Réalisé par Julien Carbon & Laurent Courtiaud

Avec Frédérique Bel, Carrie Ng, Carole Brana

Long métrage : Hong-Kong, France

Genre : Thriller

Durée : 138 min

Année de production : 2009

Distributeur : La Fabrique 2