Les Incorruptibles
Autrefois, les incorruptibles portaient des chapeaux, arboraient des panchos ou des impairs préféraient les mitraillettes, palabraient peu et grave, agissaient en bande sauvage pour chasser la mauvaise graine de la contrée : la pègre, la mafia, les caïds, les tueurs et les escrocs. Ceux-ci correspondaient aux types Eliot Ness de Quinn Martin et aux camarades sans peur et sans reproche policières de Brian de Palma types Sean Connery (Jim Malone), Kevin Costner (Eliot Ness bis), Charles Martin Smith (Oscar Wallace), contre Robert de Niro (Al Capone) le Napoléon du banditisme de la prohibition. Les atermoiements psychologiques n’existaient pas ou fondus dans un esprit collectif de flics implacables, terriblement professionnels, les baroudeurs du terrain, les vieux de la vielle. Le sens est manichéen : chasser les méchants, le mal et faire gagner les gentils, à renforts de séquences glorieuses et de sacrifices patriotiques. Hollywood inventait l’héroïsme des Frères Bondurand de John Hillcoat présenté cette année au festival de Cannes en 2012, tandis que nous préservions dans l’Hexagone des figures jeunes, des face à face solitaires, des situations ou les réseaux du banditisme s’écroulaient comme un château de carte, sans antisystème, où le coupable s’écroulait sans mystère. Le premier Borsalino de Jacques Deray réunit deux têtes brûlés, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, la glace et le clown. Clair, juste et propre. Dix-ans après Capone.
Puis, les indics débarquent, les doubles agents, les crapules cachées dans le camp des gentils et les bons à ceux des mains de fripouilles qui agrandissent les ramifications. Le genre se mondialise, un mauvais mot, un mot grossier puisqu’il exporte un style qui même si il diffère dans la tradition essaie de télescoper aux sens artistique des créateurs de gangsters et de polices. Les Incorruptibles gardent le tronc puis compliquent les enquêtes, les construisent comme un jeu d’échec à l’intérieur d’une dimension bien réelle. Puis les jeux virtuels, les dimensions parallèles apparaissent comme pour donner un troisième souffle au genre, d’où nous déformons toutes les réalités. Inception utilise un procédé complexe dans le but d’apporter un relief ultra sceptique sur les issus possibles justement ancrées ici, ou J. Edgar Hoover procédait jadis à une méthode ultra classique, terre à terre, du contrôle de toute la mauvaise herbe communiste. Les femmes, timidement, basculent puis laissent planer le doute sur leurs rôles et leurs places dans ce cinéma masculin. Elles deviennent des complices, des aides psychologiques, des solutions aux malaises des hommes. Elles attaquent, elles guérissent. Elles tiennent les pistolets, fument des cigarettes. Elles sont des héroïnes. N’est-ce pas Bonnie ?
Dépassons les frontières ; le corps à corps, les rédemptions, les parcours humains, les tortures de nos personnages transcendent le sang policier français. Leon s’exporte aux Etats-Unis ; Leon (Jean Reno) et la petite Mathilda Lando (Natalie Portman) offre une alternative policière qui dépasse celle qui l’oppose au tueur à gages qu’est Norman Stanfield, le terrible Gary Oldman, crapule qui cohabitait déjà dans une vie antérieure auprès des célèbres Frères Bondurand. Leon se sacrifie pour sauver la petite fille. Plus loin, Leon se transforme en Immortel, Charlie Mattei, rescapé miraculeux de vingt-deux balles. Le tueur se mu en héros fantasmatique, revenu des morts pour accomplir une mission divine et s’offrir une rédemption absolu. Où est passée le vilain ? L’émotion comme va tout envahit les brigades et les durs à cuire pour former les faibles et les failles du nouvel âge du gangster, qui est le reflet d’une place différente que le primat occupait à l’époque. La famille s’en mêle et atterrit, chez un novice comme Pierre Jolivet, aux mains d’une jeunette qui joue la dure auprès des renseignements généraux. Ces novices aiment humidifier de nos larmes le genre policier. Un plaisir.
Le policier prend le pas chez nous ; ce n’est pas encore la Gomorra de Matteo Garronne mais le courant d’air mondial énoncé poursuit sa route. L’Italie, lieu roi des malfrats beaux et forts, des filles diaboliques, créent quelques années après le Guetteur, dernier bobine de gangsters français qui parlent de ces soldats morts en mission secrète en Afghanistan. Michele Placido apporte les imbroglios intelligents et haletants de ces films à suspense italien des années 70 avec nos petits tacs-tacs français qui roulent leur bosse quotidiennement. Daniel Auteuil (Mattei) traque un snipper Mathieu Kassovitz (Vincent Kaminski); la course poursuite chemine vers des pistes criminelles qui explosent à l’écran, surpenantes, qui transcendent le terrain personnel puisqu’il arrive à faire d’un commissaire un complice d’un tueur international. Noir et blanc de l’Italie, montage à l’envers formate le film. Un tueur classé secret défense, héros de la guerre, est un survivant des psychopathies guerrières. Imparable. L’héroïsation fonctionne à l’envers. Les truands sont les héros, la justice. Cette dernière trouvaille franco-italienne aboutit à une merveille policière où les enchainements se passent des extrapolations mal placées. La mondialisation cinématographique, ou l’européanisation a du bon et n’est pas qu’en crise dans le septième art. Guettez vite Kaminski qui pourra procéder aux nettoyages de tous les malades de France et de Navarre. Reste à songer à ce que Jason Bourne apporterait à l’héritage des conspirations policières, agents secrets et consœurs. En somme, James Bond 007, produit de studio, de toutes les places, de tous les lieux, ici et ailleurs, tiendra toujours sa place. L’anonyme. L’incorruptible.