par Nassera Metmati

Jacques Becker rêvait d’Alexandre Dumas. Jacques Becker adopte Jean Renoir. L’univers picturale et romanesque d’un auteur et d’un cinéaste français s’expriment dans cette démarche créative agréable, bien accueilli à son époque, sans dithyranbisme. Le réalisateur fût il est vrai, un peu mis à l’écart par ses partisans truffauistes au moment où les critiques passaient derrière la caméra. Peu importe.

 

Il n’est pas utile de replonger dans les chroniques historiques de Jacques Ferrand pour revivre les prouesses du plus espiègle et malicieux des cambrioleurs. Heureusement, l’époque est envahit par un syndrome de Lupinite aigüe auquel le directeur du Petit Journal Jacques Gautier qui encadre le titre de cet article ne peut être immunisé. Arsène Lupin nargue la petite police française. Douce France où le président offre 20 000 francs pour la capture du larcin responsable du vol de deux tableaux de sa collection. Remuez le goudron sacrebleu. La police est bougonne, naïve, aristocratique et peu préoccupée par les affaires policières complexes à élucider. En fait, le préfet de police n’est qu’un gentleman qui ne s’intéresse qu’aux femmes, aux bals parisiens, et aux cigares des salons. Le film n’engage pas d’enquête, ni de poursuites contre Lupin. Grimé en plusieurs costumes, perruques et moustaches, le voleur disparait à son plaisir. Ce fait est le seul reproche que nous pourrions adosser au cinéaste, soupçonné d’empathie pour le personnage de fossoyeur (dans sa filmographie avec Ali Baba et les quarante voleurs).

Les Aventures d’Arsène Lupin recèlent moins d’action, de suspense, de séquences spectaculaires ou haletantes que nous pourrions apprécier dans les séries Arsène Lupin, par exemple, que diffusaient auparavant les chaînes culturelles. Arsène n’est pas ou moins ingénieux que ses prédécesseurs. Il fait preuve d’une sérendipité naturelle qui confirme une complaisance naturelle aux talents dus à sa classe de la part de son inventeur. André Laroche (Arsène Lupin en vérité) est un riche multimillionnaire connue de la gente parisienne jusqu’aux hautes autorités de l’Etat. Il est déjà doué d’un flegme français. Intouchable. La séquence du vol de bijou révèle l’aisance à laquelle Lupin fomente son coup, par un hasard que nous devinons dans la façon dont Arsène répète la scène à l’avance. Il y eu des Lupins plus imaginatifs et plus secrets. Plus énigmatiques. Le défaut s’explique par l’extrême sensibilité du cinéaste à filmer les temps morts que nous retrouvions dans Grisli, où Jean Gabin et Réne Dary fabriquaient des face à face de truands notoires sans trop de dialogues, mais beaucoup de mouvements. Robert Lamoureux est pris dans ce jeu de minutie utile aux gestes, qui est la particularité de cet Arsène Lupin. Fin psychologue, Lupin l’est toujours autant, surtout auprès des femmes qui deviennent les complices du personnage. Ces femmes sont irritées pas tant d’audace mais rassurées par un charme, et de manière plus perverse à l’envoûtement qu’éprouve la gente féminine pour les fabulistes criminels. Autrement, Becker fabrique un bon moment de cinéma dans une stricte simplicité quelquefois elliptique, auquel il faut reconnaître la gouaille de l’acteur de music-hall qu’est Lamoureux. Au salon de coiffure, il se donne à cœur ouvert dans la théâtralité ; Arsène fait hurler de rire l’assistance dans le but d’humilier une accusatrice et un commissaire de police. Il refuse, insidieusement, une certaine idée de modernité, dans la façon très drôle dont il refuse une nouvelle lotion au parfum de Fougères Royales. Êtes-vous devenus fou mon ami ? La profondeur de champ de chaque scène multiplie une impression gaie et très littéraire sur laquelle le réalisateur s’appuie pour fabriquer son cinéma gracile et silencieux. Mieux, L’aventure tourne à la comédie au cours de son séjour auprès de l’empereur allemand.

La police française se fiche pas mal que Lupin traverse la France pour l’Allemagne. Seul deux policiers aux képis sont de faction à la douane à cette époque. Le temps est révolu. Le vieux hibou allemand, à la tête d’un empire rappelons-le, est un imbécile, enfermé dans un château qui déborde autant de vieilleries et de preuves glorieuses d’époques, que de personnages, gardes et majordomes très bizarres, d’animaux exotiques et insolites dans un cadre austère de la cour. Le ballet allemand réglé avec minutie pour un bain est ridicule mais très sympathique. Les vieux oncles de la famille fabriquent un passage secret, que nous ne voyons pas à la première manipulation. Le twist est ridicule. Nous pouvons soupçonner Becker d’installer volontairement un climat opposé à celui de la France ; où les règles ont encore droit de raison, où les espions existent, où les vieux fabriquent des machines géniales d’un âge post-révolution industrielle, où les inventions, les complots, les traditions survivent même si elles sont tournés en dérision. Où Becker aimait l’Allemagne et la guerre. Le contexte est lui bien orienté.

L’empereur oppose à Lupin une épreuve que même un enfant pourrait résoudre. Cette idée allemande n’a donc intérêt qu’à féliciter Lupin pour un ultime « exploit », faire d’une femme, la baronne Mina Von Kraft qu’une seconde victime du gentleman, puis procéder à un détour concernant l’absurdité guerrière allemande digne des classiques auxquels nous pensons tous. Même, Becker réinvente un moment qui aurait dû être proposé pour la Grande Illusion. Le plaisir est sibyllin tout le long de la bobine. Lupin vole les fortunés pour son propre compte. Lupin s’amuse. Contrairement à aujourd’hui, la société de la Belle Époque est en fête. ————————————————————————————————————————————

Extrait Vidéo

Fiche technique Réalisé par Jacques Becker Avec Robert Lamoureux, Sandra Milo Genre : Aventure Nationalité : Français Durée : 132 mins Année de production : 1957 Distribué par Gaumont